DE VOUS À NOUS
DE VOUS À NOUS
Comment articuler quatre principes issus de contextes différents : Hick (décision), Fitts (mouvement), Miller (mémoire), Postel (robustesse) ; pour améliorer concrètement l’efficacité et l’éthique du design graphique contemporain ? Notre thèse est qu’elles forment un système opératoire qui permet de cadrer un projet comme une ingénierie de la décision : structurer les choix (Hick), sécuriser les gestes (Fitts), ménager la mémoire de travail (Miller), et tolérer les écarts en entrée sans perdre l’intégrité du système (Postel). Cette articulation déplace la pratique au-delà des recettes : elle produit des critères testables pour les affiches, la signalétique, les chartes typographiques et les interfaces éditoriales.
Hick montre que le temps de choix croît avec l’incertitude du stimulus, ce qui fonde les stratégies de tri hiérarchique, de révélation progressive et de préréglages. Appliqué à un sommaire de magazine ou à une navigation, cela signifie : mettre en haut ce qui désambiguïse plus qu’ajouter des entrées. La littérature récente confirme la robustesse du phénomène, tout en rappelant que l’overload dépend de la qualité des options et des valeurs par défaut : de grands assortiments peuvent rester efficaces si l’hétérogénéité est gérée et si des chemins par défaut réduisent l’entropie perçue. L’implication pour le graphiste est méthodologique : mesurer l’effet des regroupements et des libellés sur la latence de sélection, plutôt que fétichiser un nombre magique d’options.
William Edmund Fitts formalise le temps d’acquisition d’une cible en fonction de sa distance et de sa taille. Traduit en design graphique et éditorial d’écran, cela implique de sur-dimensionner les cibles d’action, d’accroître la tolérance aux imprécisions, et d’exploiter les bords et coins comme puits de Fitts. Les synthèses HCI et les travaux sur l’accessibilité tactile confirment : les cibles plus grandes diminuent les erreurs ; sur mobile, des seuils autour de 9–10 mm pour le pouce améliorent la performance, et les normes d’accessibilité recommandent des tailles minimales et des espacements suffisants, ajustés au contexte. Pour l’édition imprimée ou la signalétique, la logique est analogue : zones de prise d’information saillantes, marges fonctionnelles, et distances de saccades calibrées.
George Armitage Miller n’a jamais dit que "7" était une consigne de design ; il signale une borne rhétorique liée au codage et à l’empan attentionnel. Les réanalyses contemporaines situent la capacité de la mémoire de travail plutôt autour de quatre unités actives, selon la tâche et le chunking. Pour le design graphique, l’instruction est claire : chunker les informations, rythmer la typographie, externaliser la mémoire par une redondance contrôlée (légendes, repères de pagination, micro-rappels), et éviter les interfaces qui sollicitent simultanément rappel et discrimination fine. En pédagogie de la mise en page, l’articulation avec la cognitive load theory complète le tableau : réduire la charge extrinsèque, soutenir le schématisation.
Le principe de robustesse de Jon Postel, "être conservateur dans ce qu’on émet, libéral dans ce qu’on accepte", a essaimé hors des réseaux. Transposé au design graphique et aux interfaces éditoriales, il légitime une tolérance d’entrée : formulaires qui acceptent nombre de formats (capitals, espaces, diacritiques), pictogrammes conçus pour des interprétations légèrement déviantes, systèmes typographiques résilients aux variations de contenus. Mais l’ingénierie réseau rappelle aussi les effets pervers d’une tolérance illimitée : ambiguïtés entérinées, dérives de compatibilité, failles de sécurité. La mise à jour récente par l’IAB recommande une tolérance bornée : détecter, journaliser, guider l’utilisateur et réparer la donnée à court terme tout en corrigeant le système à moyen terme. Pour le design, cela devient un protocole éthique : messages d’erreur explicites, autocorrection réversible, et documentation claire des formats "corrects".
Réunies, ces quatre contributions déplacent notre regard. Nous disposons d’un langage commun entre direction artistique, recherche et développement : réduire l’entropie décisionnelle sans appauvrir l’offre ; rendre les gestes sûrs sans grossir tout aveuglément ; ménager la mémoire sans infantiliser ; être tolérant sans légitimer la dérive. Ce cadre est actionnable et mesurable ; il ouvre un terrain d’expérimentation responsable où l’on peut débattre d’esthétique avec des preuves d’usage. C’est pour cela qu’aujourd'hui, Hick, Fitts, Miller et Postel nous sont plus utiles que jamais.