DE VOUS À NOUS
DE VOUS À NOUS
Peut-on transposer sans perte le Design Thinking — cette démarche en cinq modes popularisée par la d.school de Stanford — au champ spécifique du design graphique, où comptent la forme, la lecture, la hiérarchie et la charge sémiotique des images ? D’un côté, le Design Thinking promet une méthode itérative centrée sur l’humain. De l’autre, la pratique graphique s’ancre dans des savoirs établis sur la perception, la signification visuelle et l’accessibilité. L’hypothèse défendue ici est que les cinq étapes "Empathize, Define, Ideate, Prototype, Test" fonctionnent pleinement pour le design graphique à condition d’être ré-instrumentées par trois piliers disciplinaires : la sémiotique visuelle (Barthes ; Kress & van Leeuwen), la psychologie de la perception (Gestalt) et l’ergonomie cognitive et normative (Norman ; WCAG/ISO). Cette articulation permet d’éviter l’écueil d’un processus générique et d’aboutir à des pièces graphiques plus lisibles, signifiantes et responsables.
1. Empathize ; Comprendre des lecteurs, pas des "utilisateurs" abstraits.
2. Define ; Cadrer le problème comme un problème de signification.
3. Ideate ; Diverger avec des contraintes explicites.
4. Prototype ; Matérialiser tôt, mesurer la lecture.
5. Test ; Valider au-delà de l’opinion.
Appliqué tel quel, le Design Thinking peut produire du "process sans forme". Le Design Thinking est vivement critiqué pour sa superficialité quand il se limite à une recette en cinq cases. Kimbell montre que confondre "style cognitif", "théorie générale" et "ressource managériale" affaiblit la rigueur du design ; Norman rappelle qu’un vernis procédural ne remplace ni l’expertise, ni l’attention aux signifiers et aux systèmes réels. Les critiques de Jen sur la culture du post-it visent justement cette réduction. À l’inverse, ré-outiller chaque mode par la grammaire visuelle, la perception et les normes d’accessibilité rétablit une profondeur disciplinée : on ne fait pas de l’empathie, on vérifie des effets de sens ; on ne teste pas des goûts, on mesure des performances perceptives.
Pour les équipes graphiques, je propose une traduction mémorisable des cinq modes en cinq gestes :
1. Regarder (empathie perceptive et sémiotique),
2. Cadrer (définition par la grammaire visuelle),
3. Composer (idéation contrainte),
4. Matérialiser (prototyper des lectures),
5. Vérifier (tester par des métriques et des normes).
Cette transposition conserve l’esprit itératif du Design Thinking et incorpore le cœur du métier graphique : rapport forme/sens, hiérarchie, accessibilité. Elle permet enfin de dialoguer avec le Double Diamond : divergence contrôlée par les cadres sémiotiques et perceptifs, convergence éprouvée par des critères de lisibilité et d’usage.
Articulé à la sémiotique, à la perception et aux normes, il devient un accélérateur de justesse graphique : le bon message, au bon endroit, avec le bon poids visuel, dans des conditions perceptives inclusives. Le gain n’est pas seulement méthodologique : il est épistémique. On passe d’un discours sur l’empathie à une pratique outillée de la lecture, et d’un test d’opinion à une évaluation de la performance sémiotique et ergonomique.