DE VOUS À NOUS
DE VOUS À NOUS
De quoi parle-t-on lorsqu’on affirme que le design graphique doit "penser avec le cerveau" ? L’ergonomie cognitive nomme ce champ précis : l’étude des processus mentaux ; perception, mémoire, attention, décision, action ; appliquée à la conception de systèmes d’information et d’interfaces. Sa promesse est de réduire l’effort cognitif, stabiliser la compréhension et accélérer l’action utile. En d’autres termes, transformer une surface visuelle en dispositif de pensée compatible avec nos limites et nos forces. Les définitions de l’International Ergonomics Association et le cadre ISO 9241-210 posent les bases en ces termes : une démarche centrée humain, informée par la psychologie, visant efficacité, accessibilité et bien-être d’usage.
Ce socle se prolonge par des principes empiriques qui traduisent la cognition en contraintes opérationnelles. Hick-Hyman montre que le temps de décision croît avec le nombre d’options : multiplier les choix sans hiérarchie nette alourdit immédiatement l’interaction. Fitts formalise la vitesse d’atteinte d’une cible : la taille et la distance d’un bouton conditionnent le temps de pointage. Miller rappelle que la mémoire de travail traite peu d’éléments : regrouper, séquencer et nommer deviennent des gestes graphiques cognitivement nécessaires. Ces « lois » ne sont pas des dogmes, mais des garde-fous mesurables qui convertissent une intuition graphique en promesse de performance.
Réduire la charge cognitive ne signifie pas appauvrir le langage visuel. Il s’agit d’orchestrer la perception. La vision opère des traitements préattentionnels et applique des organisations de type Gestalt. Avant même l’attention consciente, certaines différences de position, forme, couleur ou mouvement "sautent aux yeux" et permettent aux designers de créer des entrées naturelles dans l’information. De même, des structures de proximité, similarité ou continuité raccrochent spontanément les éléments entre eux : la hiérarchie visuelle ne s’impose pas, elle s’aligne sur des routines perceptives qu’on peut documenter et tester.
L’ergonomie cognitive éclaire aussi la lisibilité fonctionnelle des documents et interfaces. Les recherches en perception de l’information rappellent qu’on décode mieux les valeurs posées sur des canaux perceptifs forts (position sur un axe, longueur) que sur des canaux ambigus (angle, saturation). Cela vaut pour un diagramme, mais inspire également la mise en page : pour transmettre une priorité, contrastez la position, la taille et la densité avant de multiplier les couleurs. Le designer travaille alors avec des preuves perceptives » plutôt qu’avec des effets.
Ce cadre a des implications concrètes pour la micro-typographie et la hiérarchie. Une ligne trop longue augmente la charge de suivi oculaire ; un interlignage trop serré fragmente les saccades ; un contraste insuffisant pénalise une partie des lecteurs et contrevient aux seuils d’accessibilité. Les normes WCAG traduisent ces exigences en ratios de contraste vérifiables, ce qui ancre l’éthique d’accès dans la matérialité du rendu.
Aussi, l’ergonomie cognitive s’intéresse à la dimension affective de la perception. L’effet de simple exposition explique qu’une familiarité modérée accroît souvent l’adhésion ; la théorie de la fluidité de traitement relie le plaisir esthétique à la facilité de décodage. Ce n’est pas un plaidoyer pour l’évidence fade, mais un rappel : un système visuel qui se laisse apprivoiser sans effort gagne en désirabilité et en persuasion. L’élégance graphique commence par une phrase lisible pour l’œil, donc pour l’esprit.