DE VOUS À NOUS
DE VOUS À NOUS
Comment le design graphique contemporain dialogue-t-il avec les héritages contradictoires du postmodernisme, du flat et material design, et d’une perspective globalisée ou décoloniale ? Cette question est aujourd’hui centrale pour comprendre une discipline tiraillée entre radicalité visuelle, lisibilité numérique et conscience culturelle critique.
Le postmodernisme graphique, apparu dans les années 1970, se distingue par son rejet de la rigueur moderniste. Il théorise la pluralité, l’ironie, la fragmentation et l’éclectisme stylistique, rompant avec l’esthétique fonctionnelle héritée du Bauhaus. Ce mouvement, notamment incarné par la typographie expérimentale et les compositions hétérogènes, revendique que le sens ne s’impose plus par le consensus visuel mais par la dissonance, l’argument iconoclaste et la métaphore visuelle. Cette attitude critique dérive de la pensée poststructuraliste et postmoderne, où la vérité visuelle se dévoile comme construite, instable — une invitation à déconstruire le regard.
Le flat design, époque iOS 7, Windows 8 et Material Design, répond à la complexité visuelle par la simplicité, l’aplat, l’économie formelle. Il n’est pas qu’un choix esthétique, mais un geste cognitif et technique pour alléger la charge perceptive des interfaces. Son usage d’aplats, d’axes bidimensionnels, et de typographies sans-empattements modernes s’inscrit dans une volonté d’efficacité visuelle. Material Design, chez Google, réintroduit subtilement la profondeur par ombre et mouvement, en quête d’une esthétique plus intuitive tout en restant épurée.
Entre ces deux pôles, la notion de design globalisé ou expert-décolonial invite à questionner l’universalité souvent tacite du modernisme visuel. Elle considère que les principes formels (la grille, la neutralité typographique, la hiérarchie) sont culturellement situés. Le design doit donc intégrer des esthétiques non-occidentales, des modes de lecture culturels variés, et déconstruire les normes hégémoniques. Cette posture critique refonde le design graphique comme politique visuelle consciente, un média réflexif capable de décoloniser sa grammaire. Plutôt que juxtaposer les styles, l’enjeu est de mettre à jour des tensions productives : entre rupture et continuité, abstraction et sensibilité, universalisme et diversité.
Ces dynamiques dessinent un terrain contemporain en mouvance, où le designer devient navigateur critique. Il doit savoir jouer sur la simplicité visuelle des interfaces réactives tout en restant responsable des significations implicites, sensibles aux différences culturelles. À l’ère de l’IA générative, cette posture est plus essentielle que jamais : adopter sans critique, c’est risquer l’effacement de l’altérité. Reconnaître que chaque point plat peut être politique ou chaque grid neutre, ethnocentrique, c’est avancer vers une practice de design réellement consciente.